La paille et la poutre

A propos des questions de pédophilie dans l'Église...

Ce billet veut reprendre le titre bien évocateur de l'éditorial publié par Béatrice Delvaux dans le journal Le Soir du 2 septembre. koekelbergCe titre fait allusion aux paroles  - assez fermes - de l'évangile... - (Mt 7, 3-5 ) « Qu'as-tu à regarder la paille dans l'oeil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton oeil, tu ne la remarques pas ? Comment vas-tu dire à ton frère : "Laisse moi retirer la paille de ton oeil', alors qu'il y a une poutre dans ton oeil à toi ? Esprit faux ! Enlève d'abord la poutre de ton oeil, alors tu verras clair pour retirer la paille qui est dans l'oeil de ton frère ». Béatrice Delvaux ne dit pas pourquoi a-t-elle choisi ce titre, mais elle le laisse deviner... Je voudrais, dans ce billet, poser la question : mais où est la paille et où est la poutre ?    

 

L'éditorial de Béatrice Delvaux est très dur à l'égard de l'Église. Et il y a de quoi : ce qu'a mis en évidence le rapport de la Commission pour les abus sexuels dans une relation pastorale, rendu public ce 10 septembre 2010, est effectivement grave, et il y a à demander pardon pour les actions de gens d'Église qui ont ainsi trahi la mission qui leur avait été confiée par leur ministère : porter aux hommes un message de paix, d'espérance, d'amour. Il y a à témoigner d'une grande compassion pour les victimes de ces abus et pour les souffrences qu'elles endurent encore aujourd'hui. Jésus lui-même a dit ce qu'il en sera de gens qui font "tomber" les petits : « Celui qui entraînera la chute d'un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu'on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu'on le jette à la mer » (Marc 9, 42). Le prix plus le haut que ces gens ont à payer est sans doute déjà l'absence de paix dans leur coeur. C'est déjà l'enfer! Monseigneur Harpigny, évêque de Tournai, demandait que les auteurs de ses actes puissent êtres jugés par le tribunal ecclésiastique, même là où les faits sont prescrits par la justice (cf. RTBF 10 septembre 2010). C'est un mea culpa que l'Église adresse aux victimes et à la société tout entière, ainsi qu'une demande de pardon, du jamais vu dans une institution publique. Il est vraiment instructif de lire le rapport de la Commission, je vous le conseille.

Ces paroles et ce pardon demandé ne semblent cependant pas convenir à la presse qui en veut toujours plus. Un exemple : quand le Cardinal Danneels a parlé de pardon lors de son entretien avec la victime de Mgr Vangheluwe (publiée dans le Standaard du 28 août et puis dans le journal Le Soir), ses paroles ont été comprises dans l'opinion publique exclusivement comme l'échappatoire bien trouvée pour étouffer l'affaire et sauver les meubles. La presse a traîné le Cardinal, ainsi que l'Église tout entière, dans la boue comme des malfaiteurs protégeant des criminels. Une violence se dégage de ces propos qui contraste avec la prétendue volonté de la même presse, et de l'opinion publique qui s'y associe, de protéger les victimes. En terminant le droit de réponse qu'il a adressé à la presse , l'avocat du Cardinal se demande, : peut-on réparer l'atteinte qui a été faite à une réputation (celle de la victime) en détruisant une autre réputation (à l'occurrence, celle du Cardinal) ? C'est la logique de la loi du talion « oeil pour oeil, dent pour dent », que tant de siècles de pensée et de construction social ont éloignée fort heureusement de notre culture.

Alors où est la paille et où est la poutre ? Qui voit la paille chez qui ? et qui ne voit pas la poutre qui est dans son oeil ?

Lors d'une interview au Journal Télévisé belge francophone ce 10 septembre, le père Charles Delhez, s.j., répondait aux questions de la journaliste en reconnaissant les graves manquements dont l'Église s'est rendue responsable, et il affirmait qu'elle doit nécessairement entreprendre des démarches concrètes de «changement», poser de gestes de réparation face à ces torts commis par certains de ces membres. Mais il déplaçait aussi la question en montrant que l'Église est la seule institution à oser poser ouvertement ce mea culpa alors que la société tout entière s'est rendue « coupable » de ces crimes et du silence qui a été porté trop longtemps sur eux. Et il insistait: 85% de faits de pédophilie se passent dans les familles, et aucun mouvement de jeunesse, ni internat de jeunes, de n'importe quelle confession, ne pourra jamais dire... 'jamais en mon sein de tels actes ne se sont produits, ni pourront se produire'.(cf. juste un exemple récent).

Dans le document de la Commissions Adrainssesns on peut lire ceci:  "Qu'en est-il dans les autres religions et des abus dans d'autres domaines de la société? Des écrits à ce sujet et des contacts avec nos collègues néerlandais, il appert que le phénomène de l'abus sexuel n'est pas spécifique à l‟Eglise catholique, mais qu'on le retrouve également dans d'autres religions. En Europe du Nord, des plaintes similaires ont été déposées à l'encontre des Témoins de Jéhovah, des Juifs, des groupes protestants, au sujet de jeunes dans les internats musulmans. Faut-il attendre des témoignages publics de chacun de ces groupes pour qu'une proposition soit faite à toutes les victimes? La Commission a également reçu des lettres de victimes d'abus sexuel par un psychiatre ou un thérapeute, qui se plaignaient de ne savoir à qui adresser leur plainte alors que les faits dataient déjà de 20 à 30 ans. D'autres encore faisaient mention d'abus passés sous silence dans l'armée, dans le sport de haut niveau ou encore de victimes de faits similaires dans une entreprise et qui ne souhaitaient pas se mettre en rapport avec la personne de référence interne pour harcèlement sexuel, car elles estimaient qu‟'l s'agissait du même nid". (p. 20 du rapport). Cela doit faire réflechir...

Et il y a plus.

Il est assez fréquent de trouver, dans les blogs qui traitent de la question de la pédophilie aujourd'hui, une référence à une pétition signée en 1977 par un certain nombre d'intellectuels et hommes de pouvoir français, bien connus, à faveur de l'abrogation de la majorité sexuelle et de la décriminalisation des individus arrêtés sous des charges de détournement de mineurs. Il n'est pas inutile de faire état de ce document ici aussi. Le 26 janvier 1977, une lettre ouverte est adressée au journal Le Monde, signée par par 69 personnes, parmi lesquels 9 spécialistes – 5 psychiatres, 1 médecin, 1 psychologue, 1 psychanalyste. En voici un extrait :

« Les 27, 28 et 29 janvier, devant la cour d’assises des Yvelines vont comparaître pour attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans, Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckardt, qui arrêtés à l’automne 1973 sont déjà restés plus de trois ans en détention provisoire. Seul Bernard Dejager a récemment bénéficié du principe de liberté des inculpés. Une si longue détention préventive pour instruire une simple affairede « mœurs » où les enfants n’ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d’instruction qu’ils étaient consentants (quoique la justice leur dénie actuellement tout droit au consentement), une si longue détention préventive nous paraît déjà scandaleuse. Aujourd’hui, ils risquent d’être condamnés à une grave peine de réclusion criminelle soit pour avoir eu des relations sexuelles avec ces mineurs, garçons et filles, soit pour avoir favorisé et photographié leurs jeux sexuels. Nous considérons qu’il y a une disproportionmanifeste d’une part, entre la qualification de ” crime ” qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits reprochés ; d’autre part, entre la caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d’une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l’existence d’une vie sexuelle (si une fille de treize ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ?) La loi française se contredit lorsqu’elle reconnaît une capacité de discernement à un mineur de treize ou quatorze ans qu’elle peut juger et condamner, alors qu’elle lui refuse cette capacité quand il s’agit de sa Vie affective et sexuelle. Trois ans de prison pour des baisers et des caresses, cela suffit. Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier, Dejager, Gallien et Burckardt ne retrouvent pas cette liberté». Parmi les signataires, Jack Lang (ex-ministre socialiste), Bernard Kouchener (ex-ministre de la santé et responsable jadis de Médecin sans Frontières), Michel Bon (qui a été PDG de Carrefour et de l'Institut Pasteur), J-P Sartre, S. De Beauvoir, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, Philippe Sollers, Catherine Millet, Félix Guattari, Roland Barthes, André Glucksmann, Françoise Dolto, etc.

Si l'on songe au fait que les scandales dont l'Église fait l'objet aujourd'hui remontent à cette période, comment se fait-il que SEULEMENT les prêtres sont jetés au milieu de la fournaise alors que, visiblement, toute la société était confrontée à cet problème et que, même, une partie de celle-ci cherchait à légaliser et décriminaliser les actes sexuel accomplis sur des mineurs?

Où est la paille et où est la poutre ?

In fine, je vous laisse méditer en vous proposant un blog qui n'a rien de catho, mais dont la justesse me plaît, surtout là où l'auteur fait remarquer ce que la presse ne songe pas à mettre en avant : «Je note aussi qu'il (le prêtre ndr ) est à peu près le seul à ne bénéficier aujourd'hui d'aucune présomption d'innocence. Dès l'annonce de son méfait supposé, on balance son nom dans la presse. Il n'a droit à aucun des égards du à tout homme de la rue qu'on accuse. Alors qu'on prend grand soin, lorsqu'un individu met le feu à son ex-compagne, de nous taire ses nom et prénom, le prêtre accusé de pédophilie, qu'il soit ou non coupable des faits dont on l'accable, aura son curriculum étalé dans les journaux ». Si vous voulez lire l'article en entier, c'est par-ici...

photo Jacques Bihin