Dans quel monde vivons-nous?
Hier j'ai été attirée pas deux articles de la presse faisant état de deux faits divers en Italie.
L'un concerne un salon (une sorte de foire...) qui s'adresse aux divorcés pour les aider à reconstruire une « nouvelle » vie et un « nouveau départ », l'autre, beaucoup plus dramatique à vrai dire, concerne le sort d'un foetus avorté à la 22 semaines de grossesse et considéré comme « non viable »: ce fœtus a été abandonné dans un conteneur destiné à l'incinération et finalement a été retrouvé vivant le lendemain de l'intervention par l'aumônier de l'hôpital qui se rend régulièrement prier dans la salle où les IVG sont effectuées...
Me direz vous: quel lien entre ces deux événements? Le lien est justement l'état du monde dans lequel nous nous trouvons à vivre et dans lequel nous faisons grandir nos enfants. Voyons plus en détail.
Le "salons des divorcés".... Déjà au XVIII siècle la société avait inventé les « salon des refusé » pour permettre une seconde chance aux peintres à qui on avait refusé l'accès de l'Académie... C'était une manière de mettre en valeur ceux qui étaient frappés par une sorte d'exclusion « académique » du fait de leur originalité, de leur volonté de rester eux-même dans un monde de conformisme où, pour réussir, il fallait paraître autres qu'on n'est. Alors, si ce « salon des divorcés » était un lieu où l'on permet à des personnes séparées ou divorcées de se rencontrer pour apprendre à accepter la blessure de la séparation, et aller plus loin dans la vie, pourquoi pas? Ce serait serait un véritable lieu pour grandir en humanité, en acceptation de soi et des autres.
Mais voyons, est-cela? On peut lire dans la publicité qui en est faite dans la presse et sur le site des organisateurs: il s'agit d'un un salon pour « fêter » un recommencement, pour laisser derrière nous ce que nous n'avons pas réussi et se donner une nouvelle chance. Tout est prévu pour alléger la vie des divorcés, même une « boutique des horreurs » où l'on peut aller porter les horribles cadeaux reçus par son « ex » et en recevoir en échange d'autres plus utiles. En correspondance avec le salon (qui a lieu le WE prochain 8-9 mai) la FNAC fait connaître son initiative de choc: une liste pour divorcés pour permettre aux amis de contribuer à l'aménagement d'une nouvelle habitation.
Je suis étonnée de la démarche, surtout je suis frappée par la banalisation de la blessure que le divorce, ou la séparation, portent avec eux. Je suis étonnée de constater comment, même les choses le plus douloureuses de l'existence, dans notre société de consommation peuvent être transformée en « occasion » de « commerce ».
Nous vivons dans un monde qui veut de plus en plus vendre l'illusion du bonheur, à cher prix d'ailleurs... parce que déjà rien que « l'entrée » au salon coûte son beau prix...
Comment grandir en humanité dans un monde où tout devient occasion de spectacle, de désenchantement, d'oubli de ce qui rate? Je ne crois pas qu'on aide un divorcé à se reconstruire en lui donnant les outils pour oublier au plus vite l'échec qui l'a frappé... Mais je vois bien comment certains peuvent exploiter sa « fragilité » du moment pour lui faire croire, moyennant payment, que des solutions rapides existent pour se refaire une nouvelle vie...
La mentalité qui guide ces initiatives est la même qui empreigne notre culture. Elle nous répète: tirons un trait sur ce qui ne réussit pas, et recommençons... Ce qu'on ne réussit pas, on l'avorte, on le restitue à la « boutique des horreurs » et on en parle plus...
Une illusion de plus, car les blessures, même enfuies, restent et travaillent en profondeur dans le coeur de chacun.
La pointe extrême de cette logique se manifeste, je pense, dans l'autre fait divers cité. Celui là est, hélas, vraiment dramatique, et il rencontre l'indignation des gens (ce qui est déjà une bonne réaction!). Je pense au drame de ce foetus avorté vivant, et laissé mourir dans un conteneur. Je pense aussi au drame de la maman qui a accompli l'acte, sans doute poussée par la même logique de la réussite qui hante notre environnement : « tirons un trait sur ce qui est raté et recommençons une nouvelle fois ». Si l'enfant est malformé, même si le médecin m'assure que la malformation est opérable (ce qui semblerait être le cas pour le foetus en question), tirons un trait sur lui et recommençons... nous aurons peut-être une autre chance, une meilleure chance d'avoir l'enfant que nous souhaitons...
Je ne condamne pas cette maman, ni je la juge. J'éprouve beaucoup de peine pour elle et pour la blessure qu'elle devra porter pour toujours.
Je condamne cependant cette mentalité qui n'a de cesse de nous faire croire que le bonheur est à portée de nos mains si seulement nous pouvons tirer un trait sur tout ce qui est raté et recommencer... Comme si nous puissions nous arracher à notre propre fragilité et nous ériger en maîtres tout-puissants de notre propre destin et de notre réussite, coûte que coûte.... même quand il faut « payer » cher.
Et si on commençait à changer ce monde, en y laissant naître une culture de l'amour et du don, en laissant pousser dans son propre coeur le désir d'accueillir les choses telles qu'elles se présentent à nous, même quand elles sont douloureuses et pas comme nous les aurions souhaitées, en laissant tomber la peur de n'être que des pauvres hommes fragiles...?
C'est bien peut-être parce que nous sommes des êtres fragiles et que nous pouvons le reconnaître, et l'accepter, que nous, les hommes, nous avons survécu... à toutes les catastrophes les plus épouvantables depuis des millénaires, et que nous avons développé, en les traversant, la capacité d'aimer, de vivre ensemble ….et même de rire!