"L'île" de Pavel Lounguine
L'histoire commence à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans la mer du nord, lorsque deux marins russes sont encerclé par les Allemands et le plus faible d'entre eux est pris au piège de son manque de courage: pour avoir la vie sauve, il accepte de tuer son compagnon.
Le film se déroule ensuite 20 ans plus tard, sur une île pas trop éloignée du lieu présumé de la tragique embuscade allemande, montrant le rescapé, terrassé par la culpabilité, qui s'est réfugié dans un monastère orthodoxe sous le nom de Père Anatoli.
Celui-ci, priant sans cesse le Seigneur d'avoir pitié de lui, dans une humilité qui lui attire même les reproches des autres moines, se considère comme le moins que rien des hommes. Vivant une vie de renoncement pour surmonter sa culpabilité, ce moine perturbe la vie du monastère par ses manière extravagantes, sa liberté, sa façon d'interpréter les règles de vie monastique, son austérité. Homme d'une foi inébranlable, certain de la miséricorde de Dieu et conscient de la fragilité de l'homme, Anatoli devient, malgré lui, un guérisseur, capable de délivrer les malades de leur maladies corporelles et spirituelles, prédisant l'avenir. C'est sans doute là le côté le plus impressionnant du film, qui cherche à « filmer » le « miracle », dans une sobriété et une justesse étonnantes.
Le lieu du tournage, Lounguine l'a longtemps cherché: c'est une île perdue de la mer Blanche, dans l'Arctique, un petit lambeau de terre, presque un tas de cailloux qui émerge de la mer. Sur l'île un monastère orthodoxe, construit tout en bois pour le tournage, dans une sobriété étonnante. Le paysage est aride, fait de glace, d'eau et de cris de mouettes. L'austérité des lieux, que Lounguine a recherchée jusque dans le détail, unie à une musique sobre et contemplative, composée par Vladimir Martynov, nous livrent un monde hors du temps. La photographie du film accomplit le reste: à la fois austère et somptueuse, elle nous restitue une nature qui rayonne d'une beauté pure et ouvre à la contemplation, dans le dépouillement et l'absence de décor.
Dans ce monastère on ne voit que trois moines, chacun incarnant une façon particulière de vivre la foi: il y a le moine Jos, qui vit d'une foi attachée aux règles, comme une contrainte qu'il accepte pour s'élever; il y a aussi le Père Philarète, supérieur du monastère, qui vit d'une foi d'enfant, pure et simple d'un côté, mais aussi minée par les « caprices » (ou les conforts...) de l'autre côté; et finalement il y a le Père Anatoli, le protagoniste. Pour échapper au poids de la culpabilité, celui-ci cherche inlassablement l'intimité avec Dieu. Sa foi attachée au repentir et au renoncement radical et déroutant, et dont la dureté rappelle la gravité de la faute commise, devient en même temps en lui une certitude iinébranlable dans la présence miséricordieuse de Dieu. Son aspect, son austérité, son visage toujours tout noir de charbon (il est en effet préposé à la chaudière du monastère) en font un être repoussant. Mais cet être repoussant devient lumineux de sa foi, qui en transforme le visage le rendant rayonnant.
Le metteur en scène, P. Lounguine s'est exprimé ainsi à propos de son film : « il parle de la honte comme d'un élément principal de la conscience, et de la foi comme d'une chose normale de la vie. Il fallait montrer un monde où Dieu existe de façon évidente; on ne cherche pas Dieu, il est là; et montrer la honte, ce travail qui se fait dans l'âme sans qu'on sache pourquoi. La honte est ce qui fait d'un animal un être humain. Dans la société moderne, il est honteux d'avoir honte. On doit être optimiste, vainqueur. Beaucoup de gens suffoquent dans un tel monde. C'est pour eux, pour moi-même, que j'ai fait ce film ».
La fragilité est mise en scène dans l'une de ses formes plus plus répandues: la culpabilité et la honte, et elle s'exprime dans la lutte que le protagoniste engage avec lui-même et en lui-même pour voir Dieu se rendre présent au coeur de ce qui est défectuex, mauvais, ou trop fragile pour tenir tout seul...