Mgr Proaño et l'Église des pauvres

L'Église d'Équateur est un reflet fidèle de ce que la Pape Jean XXIII appelait « la parole vivante de la réalité », parole à laquelle il se voulait très attentif au point d'ouvrir un nouveau Concile, celui qui fut Vatican II, afin que la théologie elle-même puisse réfléchir à comment se mettre à l'écoute de cette "parole".indigenes

Bien avant l'ouverture du Concile, en Équateur, l'Église avait déjà commencé à se mettre à l'écoute de la réalité en s'ouvrant aux Indiens, sûrement les plus pauvres parmi les pauvres de ce pays, n'ayant droit à aucune reconnaissance, ni à aucune « propriété », sur leur propre terre.

La grande figure de cette Église et de cette ouverture fut Monseigneur Leonidas Proaño Villalba, qui a été évêque de Riobamba entre 1954 et 1985, et qui a profondément marqué de son action, non seulement l'Église universelle, mais aussi la culture et la société équatorienne. Il est difficile de parler de l'Équateur et de son histoire au XXe siècle sans rencontrer Monseigneur Leonidas Proaño et son oeuvre.

Né le 29 janvier 1910 dans un village très pauvre, Saint Antoino de Ibarra, il devient évêque de Riobamba, dans la province du Chimborazo, un peu au sud de Quito, le 18 mars 1954. C'est à Riobamba que Monseigneur Proaño fait la connaissance d'une population pour la plupart indigène et quasi totalement analphabète, misérable et soumise à toute forme d'abus. Convaincu qu'aucune forme de contemplation ou de spiritualité ne peut être authentique si elle ne s'enracine pas dans la mission libératrice du Christ, il commence son travail à la fois d'évangélisation et de soutien concret aux plus pauvres des pauvres. C'est le début de celle qui deviendra par la suite la bien connue théologie de la libération. Nous sommes en 1956, bien avant le Concile Vatican II. Celui-ci terminé, Monseigneur Proaño voit confirmée par le Concile lui-même la validité de son intuition, et il est chargé par le même Concile de donner vie aux Asambleas Cristianas. Celles-ci doivent avoir comme but de réaliser une évangélisation à domicile, à l'aide de lectures bibliques commentées et en répondant aux questions du peuple. Monseigneur Proaño a même l'idée de fonder une radio, pour mieux faire avancer l'évangélisation et aussi pour permettre à la population indigène l'accès à l'éducation. Nous sommes en 1962 et la Escuelas Radiofónicas Populares des Ecuador (ERPE) voit le jour.

De plus en plus, Monseigneur Proaño ressent l'exigence de travailler à la justice sociale, en oeuvrant de toutes ses forces pour qu'aux Indigènes soient reconnus les droits de posséder de la terre, leurs propres terres. En 1965, il intègre un certain nombre d'indigènes à deux grandes entreprises de son diocèse : Monjas-Corral y Zula.

Son travail pour réunir les évêques et les prêtres autour de son projet d'Église est infatigable. En 1966 fut promulguée la carta roja, charte rouge, appelée ainsi parce que, pour des raisons typographiques, elle fut écrite à l'encre rouge. On y trouve cette résolution : « Finissons-en avec les privilèges, les titres, la domination territoriale, oeuvrons pour construire une Église du peuple de Dieu, une Église de la communauté ». La charte invite les communautés à se construire non seulement autour du curé, mais aussi autour des équipes pastorales dans lesquelles les laïcs doivent avoir une partie active et constructive. En 1969, la Conférence épiscopale latino-américaine de Medellin confirme les intuitions de la « charte rouge » en affirmant que « la pauvreté de tant de frères demande justice, solidarité, témoignage, effort et action constants pour l'accomplissement de la mission salvatrice de Jésus ». Suivant la même préoccupation parsorale et sociale, Monseigneur Proaño fonde aussi la "Granja-Escuela Tepeyac" qui devient le centre de la rénovation conciliaire de l'Église diocesaine, en employant des indigènes sur les terres  de priopriété du diocèse.

Mais les années 70 sont difficiles : le pouvoir prend peur en écutant les affirmations de l'Église et c'est la persécution. Le 12 août 1976, pendant une réunion de la Conférence épiscopale, en présence aussi d'évêques et archevêques étrangers, la police fait irruption dans la salle et procède à de nombreuses arrestations, prenant aussi les théologiens et les laïcs présents. Le pouvoir en place cherche par tous les moyens d'introduire la division interne à l'Église, en vue de l'affaiblir. asambleas-cristianas

En 1979, la Conférence épiscopale latino américaine de Puebla réaffirme la nécessité pour l'Église de se construire suivant l'option préférentielle pour les pauvres dans le contexte de sa mission évangélisatrice. En Équateur, occupée à suivre cette ligne directrice depuis le lointain 1956, l'Église commence alors à travailler à un document qui veut promouvoir une pastorale différenciée pour chaque sujet: les enfants, les femmes, les noirs, les indigènes. Nait ainsi la Pastorale des indigènes.

En même temps, le retour de la démocratie facilite les choses. L'Église se fait discrète face à la puissance de plus en plus grande des organisations syndicales. Mais elle continue à travailler dans l'ombre pour l'affirmation des droits des plus pauvres et l'amélioration de leurs conditions de vie.

En 1985, Monseigneur Proaño rencontre le Pape Jean-Paul II en visite en Équateur. Lors de la messe célébrée avec le Pape pour les indigènes, en langue Quetchua, accompagnée de guitares et tambourins, Monseigneur Proaño affirme : " les indigènes ont récupéré leur parole. Maintenant, avec l'aide de l'Église et d'autres organisations, ils sont en train de s'organiser pour construire une société nouvelle" . La même année Jean Paul II le nomme Obispo de los Indios, suivant une demande des Indigènes eux-mêmes.

Ce fut son testament, car à 75 ans, Monseigneur Proaño prend sa retraite, en exprimant le souhait que Monseigneur Victor Corral lui succède pour continuer ce travail commencé 30 ans plus tôt. Ce fut chose faite en 1990. Monseigneur Corral est encore aujourd'hui évêque de Riobamba, fidèle disciple de ce grand maître.

De Monseigneur Proaño, Monseigneur Luna a dit :" il était un maître, sans d'autre chaire que sa propre vie, ouverte à toute lumière".

 

Quelques liens utiles pour approfondir le sens de  l'oeuvre accomplie par Monseigneur Proñao (sites en espagnol!):

- blog buscando in medio de las ideas

pour une biographie détaillé de Monseigneur Proaño;

- blog Camino de Santa Cruz

encore une biographie de Monseigneur Proaño;

- Centro de Estudios y Accion Social

fondé par Monseigneur Proaño le 1 octobre 1960

- Escuelas Radiofónicas Populares des Ecuador (ERPE)

fondée par Monseigneur Proaño le 19 mars 1962;

- Quelques paroles de Monseigneur Proaño

citations sur le thème de la paix et de la justice (site en espagnol)

- La voix prophetique du Chimborazo: Monseigneur Léonidas Proaño

article écrit par Adolfo Pérez Esquivel, Prix Nobel de la Paix